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Oser dire

1 Mars
Raymond Legault
Mars 2012

 

L’Union des artistes. Notre nom, à lui seul, est fortement porteur d’images et de sens. L’image première étant, bien sûr, celle de tous les artistes unis par la passion de leur métier, rassemblés pour le forger, le défendre, lui assurer la reconnaissance qu’il mérite pour toutes les possibilités qu’il offre d’exprimer l’humain dans ce qu’il a à la fois d’unique et d’universel.

Nous devons toujours avoir cette image à l’esprit, comme l’ont eue tous ceux qui ont fait de l’UDA ce qu’elle est devenue, après des décennies de développements, de réalisations et de luttes.

Il est urgent que cette image s’incarne et se traduise en actions plus déterminées que jamais. Car nous pouvons être extrêmement fiers de ce que nous avons bâti depuis nos débuts, mais nous serions dangereusement naïfs de croire que tout cela est acquis.

N’ayons pas peur des mots.

Les temps sont durs.

On le voit ici, on le voit partout. Bouleversements sociaux, environnementaux, économiques, politiques : ce que l’on croyait éternel est menacé, ce que l’on croyait établi doit être à nouveau défendu, la route qui semblait facile révèle des défis exigeants à chaque tournant. Dans notre domaine comme dans tous les autres domaines de l’activité humaine.

Mais en même temps, la connaissance se démocratise, les moyens technologiques à notre disposition se développent à un rythme exponentiel, les échanges et les communications se libèrent de plus en plus de la contrainte des frontières, de quelque nature qu’elles soient.

C’est dans ce contexte que, dans à peine quelques semaines, nous nous retirerons entre nous, membres de l’Union des artistes, pour nous parler aussi franchement que nous aurons le courage et la lucidité de le faire de notre métier et de son destin.

Le Congrès d’orientation de l’UDA, à la fin mai, sera une occasion unique, une tribune où nous aborderons des questions qui dépassent largement le propos de nos assemblées et autres rencontres habituelles : pouvons-nous encore vivre de notre métier? Pouvons-nous encore en retirer l’essentielle satisfaction du travail bien fait? L’exerçons-nous dans des conditions saines et sécuritaires? Comment s’inscrit-il dans la culture et plus largement dans la société québécoise? Recevons-nous en retour notre juste part de profits et de reconnaissance?

Comme d’autres pionniers syndicalistes, les fondateurs de l’UDA ont réussi à instaurer des règles de fonctionnement basées sur des principes d’équité et de respect et à mettre fin à un régime où les conditions d’exercice d’un métier étaient tributaires de l’humeur et des décisions arbitraires de quelques-uns. Un régime dans lequel exiger le respect et l’équité ou exprimer une divergence de vues pesaient lourd dans le mauvais plateau de la balance de l’emploi. Bref, où on n’engageait plus ceux qui affirmait leurs droits avec trop de conviction.

Soixante-quinze ans plus tard, où en sommes-nous?

En vue du Congrès, nous avons déjà initié le dialogue avec vous sur ces questions. Sur notre blogue, par le moyen des capsules où quelques-uns de nos collègues proposent leur vision sur un aspect du métier qui les interpelle particulièrement, et où vous nous avez fait part de vos réactions. Et aux lundi 5 à 7 du Congrès, qui ont pris la forme d’échanges très ouverts, où nous tenions à vous écouter prendre la parole.

Bien sûr, la réponse enthousiaste, la participation et l’intérêt m’ont grandement réjoui. S’ils sont garants du Congrès, l’intensité de la réflexion sera au rendez-vous.

Il y a dans ce que vous nous dites un fort consensus pour décrier des situations que nous connaissons tous, mais qui, regroupées et partagées, révèlent leur véritable ampleur : le travail est plus rare, nous y avons de moins en moins un accès direct, les conditions de travail sont de plus en plus oppressantes (rythme effréné, ressources moindres, conditions hasardeuses, etc.) et l’on voit s’installer le discours insidieux selon lequel le Web, c’est l’avenir, mais que nous devons travailler à rabais et brader nos droits pour permettre son développement.

Ce n’est pas le constat en lui-même qui surprend, c’est la lourdeur de l’inquiétude vécue par chacun de vous, et la généralisation du phénomène. Mais j’ai surtout découvert l’émergence insidieuse d’un courant délétère : la peur d’en parler ouvertement.

Peut-être s’agit-il là de notre défi prioritaire : vaincre cette peur.

N’ayons pas peur des mots, que ce soit entre nous, pour dire ce qu’est notre réalité de travail, pour déterminer les actions à entreprendre pour qu’elle soit telle que nous la voulons, pour exprimer nos divergences de vues et les moyens de les rallier, ou que ce soit devant ceux qui nous emploient (et en tirent profit…) pour affirmer la valeur de notre travail et les conditions dans lesquelles nous exigeons qu’il s’exerce.

N’ayons pas peur des faits.

Si l’accès au travail est difficile, ne nous cantonnons pas dans le désarroi et cherchons les moyens de l’ouvrir. S’il y a trop d’intermédiaires dans le processus d’embauche, cessons de nous taire et trouvons des solutions. S’il est avantageux pour nous de générer notre propre travail, donnons-nous des outils pour harmoniser notre statut d’entrepreneur et nos prérogatives syndicales.

Nous avons les moyens d’aborder ces chantiers, nous disposons de ressources considérables. Nous avons devant nous beaucoup de travail. Nous devrons sans doute reprendre parfois la lutte pour ce qui nous semblait acquis. Nous devrons tailler notre place dans le monde des nouvelles plateformes de création et d’exploitation.

N’ayons pas peur de le dire.

Notre travail est de témoigner, de questionner, de divertir, d’émouvoir. En ce sens, notre apport est essentiel à l’épanouissement de la société. Notre devoir est d’exercer notre art et notre liberté de création dans le respect des valeurs fondamentales de notre société.

En retour, nous avons droit à la reconnaissance de notre profession, non seulement par ceux qui nous emploient, mais par la société à laquelle nous participons, et par l’État, qui doit promouvoir la liberté de création et maintenir un environnement socio-économique favorisant la création et la diffusion de l’art et de la culture.

Si nous n’avons pas peur de dire, nous n’aurons pas peur d’agir. Nous aurons trois jours de congrès pour le réaliser, j’espère vous y rencontrer en très grand nombre.


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